Nelson Henricks et le MAC présentent

STUART JACKSON EN CONCERT dans l’installation HEADS WILL ROLL REMIXED

 

Le Programme : 

  1. Dust: Crystal (2018) de Rebecca Saunders,3’
  2. Heads Will Roll (Pan) Excerpt (2022) de Nelson Henricks, 1’ 15”
  3. Bone Alphabet (1992) de Brian Ferneyhough, 11’
  4. Heads Will Roll Excerpt (with Shells) (2022) de Nelson Henricks, 1’ 30”
  5. Composed Improvisation for Snare Drum Alone (1990) de John Cage, 11’
  6. Heads Will Roll Excerpt (2022) de Nelson Henricks,1’
  7. Dust: Triangles and Cadenza (2018) de Rebecca Saunders, 5’
  8. Psappha (1975) de Iannis Xenakis, 14’

Durée totale du programme : 48’ 15’’

 

Notes d’écoute

Dust (2017-2018) … Rebecca Saunders (1967)

Dust [Poussière] a été composée pour les percussionnistes Dirk Rothbrust et Christian Dierstein de l’Ensemble Musikfabrik. La pièce révèle un monde sonore étonnamment peu familier composé de huit modules qui peuvent être joués dans n’importe quel ordre, ce qui laisse libre cours à une interprétation personnelle et unique. Ce soir, je ne jouerai que trois des modules : crystal, triangles et cadenza.

Le texte au début de la partition de Saunders donne quelques indices sur la signification de l’œuvre et l’origine de son titre :

poussière / n. f. : poudre fine et sèche composée de minuscules particules de déchets ou de terre.
Une pellicule de poussière est une sorte de membrane recouvrant ou superposant un corps ou un objet sur le sol, sur les surfaces, ou qui est transportée dans l’air. La poussière de la terre est un lieu de sépulture.
La poussière dans une pièce est composée principalement de peaux mortes, une poudre de restes mortels.

… pas un bruit sinon les vieux souffles et les pages tournées lorsque soudain cette poussière le lieu tout entier plein de poussière en rouvrant les yeux du plancher au plafond rien que poussière et pas un bruit sinon qu’est-ce qu’elle t’a dit … à peine venu parti à peine venu parti.

Cette fois, Samuel Beckett

La définition et la citation de Beckett suggèrent un lien étroit entre la poussière et la mort. Cependant, le lien sonore qui émerge d’emblée à l’écoute de Dust est l’abondant bourdonnement des caisses claires, que l’on entend dans les trois mouvements que je présenterai ce soir. J’utiliserai également d’autres matériaux, comme le papier d’aluminium sur les plaques philarmoniques et de petites chaînes sur la grosse caisse, mais c’est la texture granuleuse des caisses claires qui se rapproche le plus du mot poussière. Ironiquement d’ailleurs, la « poussière » des caisses claires et le papier d’aluminium sont utilisés principalement pour prolonger la résonance d’autres instruments, comme des bols tibétains et des tiges d’aluminium.

Alors que triangle et crystal sont des improvisations définies par leur instrumentation, cadenza est un module particulier qui permet à l’interprète d’utiliser sa propre collection d’instruments. Pour ce module, j’emploierai une baguette d’aluminium courbée, d’autres pièces métalliques résonnantes de ma collection et un « triangle harmonique » spécial, inventé par le regretté percussionniste et compositeur Mathias Kaul, consistant en un hémisphère en styromousse qui amplifie certaines fréquences émises par le triangle.

Pour les intéressé·e·s, j’interpréterai Dust dans son intégralité le 22 mars 2023 à l’Ausgang Plaza, dans le cadre d’un concert présenté par Code d’Accès.

Bone Alphabet (1992) … Brian Ferneyhough (né en 1943)

Avec Bone Alphabet [Alphabet d’os], Ferneyhough met le percussionniste face à un casse-tête presque insoluble : constituer un ensemble de sept instruments, du grave à l’aigu, avec une gamme dynamique similaire et un déclin relativement rapide. Cependant, les instruments faits du même matériau ne peuvent pas être côte à côte. Par exemple, si l’instrument le plus grave est une percussion à peau, le suivant doit être en bois, en métal, en verre ou dans un autre matériau.

Cette règle simple est l’une des raisons pour lesquelles Bone Alphabet est une œuvre si difficile à exécuter, mais c’est aussi ce qui lui donne sa sonorité particulière. Bien que les sons soient classés du plus grave au plus aigu, l’organisation atomisée des instruments rend presque impossible de distinguer les lignes polyphoniques qui se déploient tout au long de la pièce. Cette organisation a pour fonction de brouiller la musique écrite, ce qui laisse plus de place aux matériaux eux-mêmes et donne lieu à un organisme musical chimérique. La tension entre les lignes polyphoniques complexes et la disposition des instruments génère des gestes expressifs inédits qui ne pourraient pas émerger simplement de l’improvisation. Grâce à ce processus, l’œuvre de Ferneyhough s’ouvre à un riche vocabulaire expressif à partir d’un ensemble relativement limité d’objets trouvés.

Du grave à l’aigu, mon instrumentation se compose d’un tom basse, d’une grosse cloche en métal, d’un bongo, d’un gros morceau de céramique, de bois, d’une bouteille en verre de marque Gerolsteiner à moitié remplie d’eau et d’un petit tesson de céramique.

 

Composed Improvisation for Snare Drum Alone (1990) … John Cage (1912-1992)

Composed Improvisation for Snare Drum Alone [Improvisation composée pour caisse claire] est tirée d’une série d’« improvisations composées » dans laquelle Cage fournit des matériaux avec lesquels les interprètes peuvent créer leur propre partition en suivant ses instructions tirées au sort dans un chapeau (une idée qui vient de Marcel Duchamp avec sa pièce Erratum Musical). Sur les bouts de papier sont inscrits des chiffres qui correspondent aux durées, aux accessoires de frappe, au nombre d’opus et à toute autre variable à laquelle l’interprète peut penser.

Selon moi, la variable la plus intéressante dans ce morceau est la sélection des accessoires de frappe. Le hasard détermine quels 2 accessoires dans un lot de 8 serviront à l’exécution d’un extrait donné, mais c’est à l’interprète de choisir l’ensemble des 8 accessoires. Mes choix ont été guidés par le critère de produire exclusivement des sons de frottement sur le tambour, pour ainsi plonger dans un univers sonore radicalement différent des formes percussives typiques. En préparant le tambour avec de la cire d’abeille et de la colophane, on peut obtenir une grande variété de sons longs et très riches en harmoniques au moyen d’anches en bois, de ressorts, de polystyrène, de balles rebondissantes et de tiges filetées, entre autres. Mon exploration de ces possibilités m’a amené à utiliser un tom basse plutôt qu’une caisse claire, car cet instrument donne une réponse plus riche à l’action de frottement.

 

Psappha (1975) … Iannix Xenakis (1922-2001)

Le titre Psappha fait référence à Sappho, grande poétesse grecque de l’île de Lesbos qui a vécu au 6e siècle avant notre ère. L’œuvre de Sappho a presque complètement disparu, mais Xenakis s’est inspiré des modèles métriques dans les fragments de ses poèmes connus pour composer l’essentiel de la structure rythmique de Psappha. Bien que cela ne soit pas confirmé, il est possible que la partie centrale de la pièce, qui comporte de longs silences ponctués par la grosse caisse et le bloc de bois, corresponde à un pan de poésie en grande partie perdue.

En plus du rythme tiré des poèmes de Sappho, Xenakis a employé des cribles — un type d’algorithme—, pour distribuer ces motifs rythmiques. Xenakis avait déjà eu recours à la théorie des cribles pour créer des motifs d’échelle non conventionnels et disjoints qui peuvent s’étendre sur plusieurs octaves, mais dans Psappha, il l’utilise strictement pour organiser le rythme. Avec des cribles simples, un son peut se produire à une fréquence régulière tandis qu’un ou plusieurs autres sons se produisent à une fréquence différente, donnant ainsi lieu à une polyrythmie complexe ou à un motif de base qui ne peut être subdivisé uniformément par des mesures. Xenakis a employé la métaphore visuelle d’une roue d’engrenage pour représenter ce concept, comme on peut le voir dans ses croquis réalisés à l’époque où il composait Psappha.

 

Dessin de Xenakis représentant des roues d’engrenage.

Bien que les valeurs rythmiques soient clairement définies dans Psappha, l’instrumentation reste ouverte. Xenakis organise les instruments selon leur registre et leur matériau, les groupes A à C étant les percussions à peaux ou fabriquées en bois, et les groupes D à F, celles en métal. À l’exception du groupe E, qui contient un seul son indéterminé ou « neutre », chaque groupe comprend trois instruments disposés par hauteur, du grave à l’aigu. Le choix de l’instrumentation devient donc un facteur important dans l’interprétation de Psappha.

Il y a quelques détails dans ce morceau qui demandent une certaine innovation de la part de l’interprète, mais ils sont parfois négligés. Le premier est le trémolo rapide qui se produit à la fin entre les instruments à peaux, en bois et en métal. Certain·e·s musicien·ne·s ont eu l’idée de suspendre un double de chacun des instruments à l’envers, de façon à pouvoir en frapper un dans le mouvement descendant et l’autre dans le mouvement ascendant. Je ne voulais pas une installation trop compliquée pour ce morceau, alors j’ai opté pour une solution simple : j’utilise des instruments supplémentaires en bois et en métal que je joue avec quatre baguettes au lieu de deux. Le second détail concerne le glissando progressif dans le groupe B, qui se produit vers le début. Le groupe B, qui est presque toujours joué sur des peaux, est censé produire des tons qui descendent peu à peu jusqu’à atteindre celui du tambour le plus grave du groupe C (généralement une grosse caisse). Il est difficile de trouver une solution élégante pour cela, mais je tente le coup en utilisant des roto-toms en sourdine pour obtenir l’effet désiré. L’idée générale est de sentir que le groupe B (dans mon cas, deux bongos et une conga) diminue en intensité tandis qu’il augmente en résonance, pour se transformer progressivement en groupe C (deux toms basses et une grosse caisse résonnante à pédale).