C’est en particulier par ses collages-dessins exposés régulièrement depuis la fin des années 1990, mettant en scène des figures féminines, noires, trafiquées et en proie à d’étranges mutations corporelles, que Wangechi Mutu a retenu une attention qui ne s’est jamais démentie par la suite.
Née à Nairobi, au Kenya, en 1972, Wangechi Mutu vit et travaille à New York. Dans ses dessins et collages, mais aussi dans ses sculptures, installations et vidéos, elle évoque le jeu des relations entre les organismes vivants, les humains et la puissance de la nature. Le spectre élargi de ses matériaux premiers — revues de mode et d’actualité politique, de géographie et d’ethnographie, de motocyclisme et de pornographie — lui permet d’attaquer de front les stéréotypes de la représentation médiatique, principalement féminine, en exposant la faiblesse de leurs fondements. Préoccupée par les questions d’identité et la diaspora africaine, Mutu crée de nouveaux modèles, hors norme, qui vont déconstruire les images usées incitant à la consommation hâtive et engendrant une compréhension superficielle et schématique du monde : le monde en général — occidental — dont les codes et les standards sont apparemment connus et reconnus, et le monde généralement méconnu de l’autre et de l’étranger.
Le point d’ancrage de l’exposition est l’installation Moth Girls, 2010, récemment acquise par le Musée. Dans la récurrence d’une figure féminine mi-humaine, mi-animale résultant d’une hybridation extrême, l’oeuvre réintroduit la notion de taxinomie et, qui plus est, celle, volatile, de classification et de hiérarchisation des espèces — et, par extension, des peuples et des races. L’implantation de l’oeuvre rappelle la configuration d’une salle de classe ressemblant à celle, modeste, de l’école africaine. Le retranchement de la matière à même la surface murale crée l’apparition de crevasses, sortes de taches gravées, rougies, représentant de manière expressive les configurations de quatre lacs du Kenya. Ce rapport élémentaire aux paysages d’une géographie du souvenir participe du pouvoir introspectif intense qui habite l’oeuvre de Wangechi Mutu. Évoquant la blessure corporelle, mais aussi l’appropriation et l’exploitation colonialistes du territoire, l’artiste fusionne un symbolisme poétique avec un discours ethno-politique.