Contrefaçon, leurre, rébus visuel, brouillage… Chacune des stratégies employées dans L’Envers des apparences permet d’esquiver habilement une lecture superficielle des œuvres. Dans un monde où l’image est devenue omniprésente, cette exposition met particulièrement en lumière les pièges et les difficultés de lecture rencontrés dans l’art actuel. Ils se manifestent à des degrés divers et sous différentes formes, dans les travaux de onze artistes canadiens et québécois.

L’exposition regroupe une soixantaine d’œuvres de 11 artistes dont la majorité provient du Québec, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. Elle fait se côtoyer des artistes qui ont une pratique récente et d’autres qui ont une démarche de plusieurs années. Afin de mieux cerner la démarche de ces artistes, un corpus de travaux antérieurs est rassemblé autour d’œuvres créées pour l’exposition L’Envers des apparences.

Dans ses impressions au jet d’encre, le corps photographié d’Annie Baillargeon (Québec) est démultiplié à l’aide d’un montage numérique qui le métamorphose en motif de tapisserie. Son travail interroge les implications sociales et psychologiques de nos apparences physiques et, plus globalement de nos comportements humains. Issues de la récupération et de l’accumulation, les installations de Jérôme Fortin (Montréal) vont à contre-courant des installations à la fine pointe de la technologie, constituant une formidable charge contre notre société de surproduction, de surconsommation et de vitesse. Les différentes techniques d’assemblage entraînent un effet d’optique renforcé par la présentation des œuvres qui s’apparente parfois au cabinet de curiosité. Germaine Koh (Toronto) infiltre subtilement les objets du quotidien qu’elle détourne de leur fonction première pour nous confronter aux non-dits de notre environnement, de la nature, de l’économie et de la socialisation. Ainsi un tourniquet d’entrée, relié à un anémomètre, devient le baromètre intérieur du vent! Tim Lee (Vancouver)se met en scène dans des œuvres où l’humour le dispute à l’absurdité. Questionnant sa double identité (canadienne et asiatique), Lee joue de l’hybridité sur toute la ligne oscillant entre photographie et vidéo, citant l’art contemporain récent et la culture pop nord-américaine, allant jusqu’à l’utilisation du diptyque dans certaines œuvres et tablant à la fois sur l’authenticité et le trucage… Peintre, dessinateur, sculpteur et vidéaste, Euan Macdonald (Toronto) élabore une œuvre sur la perception et le temps. Du voisinage des médiums utilisés surgit une complémentarité à laquelle est convié le spectateur. « Scènes de la vie banale », les vidéos de Macdonald se penche sur un quotidien que nous ne voyons plus, sur ses incongruités que ce soit les feuilles d’un classeur qui virevoltent ou un escargot qui s’avance…Pour Kelly Mark (Toronto) l’art et la vie se confondent dans l’observation d’un quotidien qui la passionne. Elle nous présente ici des dessins et des installations audio et vidéo où le principe de la répétition et de l’accumulation transcende l’ordinaire. De la multiplicité des pièces de casse-tête de Jean-Marc Mathieu-Lajoie (Québec) surgissent, par soustraction, substitution, ajout, déplacement, de nouveaux sens à la lecture première de ces « jeux de société ». Déjouant les automatismes convenus de la perception visuelle, les œuvres invitent l’œil du spectateur à une vigilance de tout instant. Damian Moppett (Vancouver) superpose les références historiques à celles de la vie contemporaine et de la culture populaire, effectuant des allers-retours entre la grande et la petite histoire. L’installation présentée opère de la même manière, obligeant le spectateur à un balayage entre les maquettes à l’avant-plan, dont une sculpture de Anthony Caro et la vidéo qui nous renvoie finalement à l’œuvre de Caro comme si nous étions dans une boucle sans fin. Ukrainien d’origine Taras Polataiko (Vancouver) se rend en 1994 sur les lieux de la catastrophe de Tchernobyl. Il en revient contaminé. Polataiko transpose dans ses œuvres le concept du virus, de ce qui est caché, mutant. De la même manière l’installation Light Works présente en surface plusieurs sources de lumière qui varient d’intensité de l’une à l’autre. En coulisse, les unités d’éclairage sont reliées à des bicyclettes actionnées par une dizaine de personnes purgeant du temps compensatoire en travaux communautaires. L’intensité varie selon la régularité et l’effort des cyclistes. Aux confins de la sculpture, de la photographie et du son, Yannick Pouliot (Saint-Casimir-de-Portneuf) fait de l’expérimentation son matériau de base. Que ce soit à l’aide de photographies ou d’installations l’artiste soustrait momentanément le visiteur à la réalité qui l’entoure. Le spectateur est « téléporté dans un autre lieu », amené à une expérience des plus réjouissantes. À travers la performance, l’installation, la photographie et la vidéo, Ana Rewakowicz (Montréal) explore les limites du déracinement et de l’appartenance, celles de la vie privée et de la vie publique. Dans les œuvres exposées, l’artiste soulève la question de l’identité reliée à l’habitat et au vêtement : le nomadisme, non dans le sens d’une itinérance sans domicile fixe mais dans la possibilité de recréer sa demeure partout. Ici, le vêtement est abordé comme architecture portable.

À l’encontre des valeurs de facilité, de vitesse, de superficialité et d’impatience véhiculées dans la vie d’aujourd’hui, les œuvres nous convient à nous en départir, pour au contraire mettre du temps à les regarder, à déjouer leurs subtiles stratagèmes, à confronter leur description pour être ainsi en mesure d’apprécier et d’approcher leur complexité. L’Envers des apparences…une exposition pour ralentir le regard.


Le MACM est une société d’État subventionnée par le ministère de la Culture et des Communications du Québec et bénéficie de la participation financière du ministère du Patrimoine canadien et du Conseil des Arts du Canada. Le Musée remercie également l’agence de publicité Lichen pour son support financier et le YMCA de Montréal pour sa collaboration.

Commissarié par : Gilles Godmer